35 - L'araignée de Pélisson.
Aujourd'hui, je vous raconte une histoire vraie, mais de celles qu'on doit transmettre car elle est réflexiogène à plus d'un titre. C'est l'histoire de l'araignée de Pelisson.
Pelisson était l'avocat de Fouquet, le surintendant qui avait eu la trés mauvaise idée d'inviter Louis XIV à admirer les belles choses qu'il avait amassées dans son beau château. Il tomba dans la disgrâce et le bon plaisir du roi étant à l'époque encore plus discrétionnaire que celui de maintenant, il eut le sort que tout le monde connait. Mais ce qu'on sait moins, c'est que le courageux et intègre Pélisson, qui était l'avocat de Fouquet fut également frappé de la vindicte royale et jeté à la Bastille. Notre bon fabuliste La Fontaine eut bien de la chance de ne pas subir le même sort, car il était intervenu à plusieurs reprises en faveur de son ami Fouquet.
Donc Pelisson se retrouve à la Bastille, où il est enfermé dans des conditions particulièrement sévères, enfermé dans une cellule exigüe, sans aucun contact avec l'extérieur, sans pouvoir ni lire ni écrire. Il y restera plusieurs années, coupé du monde. Mais dans cette cellule il n'était pas seul. Il découvrit qu'il la partageait avec une araignée. Il se mit à l'observer pour passer le temps, et petit à petit se fit accepter par la bestiole. Entre elle et lui une sorte d'amitié naquit, au fil des jours, ils s'apprivoisèrent mutuellement et ne se quittaient plus. Cette petite compagne enjoliva les tristes journées du pauvre Pelisson, et lui permit de ne pas complètement désespérer.
Mais un jour, un de ses gardiens encore plus stupide que les autres, ce qui paraissait pourtant difficile, écrasa l'araignée de Pélisson, par méchanceté pure, et pour s'amuser bêtement. C'était pour Pélisson qui avait subi les pires avanies, avec courage et dignité, la goutte qui faisait déborder le vase, et pour la première fois il pleura. Il pleura son amie disparue et son existence lui apparaissait soudain d'un désespoir épouvantable qui l'envahit tout entier. Le seul être qui lui témoignait encore un peu d'amitié venait de disparaître et sa vie n'avait plus de sens.
Le gros lourdaud sans coeur qui avait de manière si bestiale mis fin à la fragile amitié qui liait deux êtres si dissemblables, trouvait son crime si glorieux qu'il s'en vantait autour de lui, espèrant faire rire au dépens de ce pauvre Pélisson. L'histoire fit le tour de Paris, je ne sais si elle était contée avec des gros rires ou une saine compassion, toujours est-il qu'elle parvint à la cour de Versailles, et jusqu'aux oreilles du Roi Soleil, qui avait complètement oublié ce Pélisson. Sans doute lui fut-elle contée de manière humaine par une quelconque courtisane au grand coeur, il se souvint du courage de Pélisson, et le bon plaisir royal pouvant s'exercer aussi dans un sens plus conforme à la justice, il ordonna sa mise en liberté.
On peut imaginer, qu'en retrouvant la liberté, notre pauvre homme eut une pensée émue pour son amie l'araignée, qui l'avait d'une certaine manière délivré au prix de sa vie. Peut-être qu'au paradis des araignées, celle-ci, chacun de ses dix yeux embués de larmes, eut-elle une consolation d'avoir quitté prématurément ce monde cruel.
Voila la triste et belle histoire de Pélisson et de son araignée.
Je ne vous ai peut-être pas fait trop rigoler aujourd'hui, mais pensez à Pélisson le jour où une araignée croisant votre chemin, il vous viendrait l'idée saugrenue de l'écraser...