42 - Un peu d'indulgence pour le diagonalisme
Il y a une autre mauvaise habitude de mes lecteurs qui me fait également ronchonner et parfois même m'en plaindre sans retenue, c'est ce que j'appelle le diagonalisme, terrible maladie qui touche beaucoup de monde et me hérisse le poil. Certains reconnaissent être atteints en minimisant leur mal, d'autres s'en défendent mais sont rapidement découverts au travers des questions qu'ils posent. Alors, c'est quoi le diagonalisme ? s'irritent quelques uns, j'y viens j'y viens ! ceux qui en sont frappés, disent toujours : Je n'avais pas le temps, j'ai lu en diagonale, ce qui veut dire qu'ils n'ont pas lu ou mal lu. Lorsque des "lecteurs" me disent cela, je le vis comme un drame, eu égard au temps et au souci de perfection que j'y ai mis, en fonction également de la souffrance qu'il me faut endurer pour expulser ces mots, qui sont directement issus de ce cerveau imprévisible, comme le pauvre bougre constipé souffre mille morts pour vider un intestin paresseux et peu coopératif.
Mais un jour mon ami Rascale dit : Si l'on se réfère au paradigme Kerosénien, c'est pratiquement le 8ème péché capital.
Et le chleuasme est en passe de devenir le 9ème...( j'expliquerai le chleuasme un peu plus tard) Je compris en lisant ces quelques mots combien j'étais dur avec ces pauvres travailleurs écartés des joies de la culture par une existence soumise au fouet d'un patron cruel qui voit dans chaque goutte de sang, une promesse joyeuse de profits nécessaires à son plein épanouissement
Tu sais Rascale, je crois que je vais me faire une raison, et admettre que peut-être je suis trop exigeant. Qui peut raisonnablement lire sans sourciller un blog aussi bien rempli, documenté, avec tant de références scientifiques et culturelles ? J'imagine le pauvre ouvrier qui rentre harassé de son labeur quotidien, qui travaille plus pour gagner moins, qui doit subir les criailleries de ses mômes insupportables, les rodomontades de sa mégère non apprivoisée, et qui lui commande de repasser le linge et de faire la vaisselle avant de se mettre à éplucher les patates... Comment aurait-il la force de se pencher sur le chleuasme ? Et lorsqu'enfin il arrive à se glisser derrière son ordinateur, il se précipite sur le point Kerrozenien qu'il arrive difficilement à trouver au milieu d'un fatras de messages tous plus intellos les uns que les autres, comment ne diagoniserait-il pas ? Son choix n'est-il pas cruel ? Diagoniser ou agoniser !
Et quand il essaie fébrilement de sortir le kerosynop, il doit écarter des amoncellements de chleuasmes plus ou moins avariés qu'il essaie de pousser d'un pied hésitant. Ce travailleur que la culture ne pourra peut-être pas toucher de son aile enrichissante, c'est mon frère, mon ami, et je souffre qu'il doive attendre encore des années et des années avant que lui aussi il puisse goûter aux joies de la rhétorique et puisse chiasmer quelques chleuasmes dans la joie et l'allégresse !
Et là, les yeux encores engourdis de son travail surhumain, il constate avec horreur qu'il n'est pas inscrit sur le kerosynop ! Et il hurle son désespoir à la mort comme le pauvre chien pleure son maître disparu, happé par la poubelle de la vie qui jette les êtres humains aprés les avoir exploités jusqu'à la corde. Et, conscient de la tristesse et de la vacuité de sa pauvre existence qu'il trimballe lourdement depuis qu'il est venu sur cette terre de honte et de misère, il appelle doucement dans la pénombre qui se referme inexorablement sur son pauvre corps tuméfié, et murmure : Kero ! Kero ! Pourquoi m'as tu oublié...Moi qui ai tant besoin de ton rayon de lumière qui me permet de me considérer encore comme un être humain, je t'en supplie aies pitié de moi... Bien sûr Trapanil intervient lui aussi : "Mais fais gaffe Kero, tu es en train de te prendre pour un autre. Premier symptôme de quoi déjà ?." Inutile d'approfondir.
Et moi, pauvre de moi, comment pourrais-je reprocher à ce pauvre hère de ne pas avoir pris la peine de tout lire, ce pauvre malheureux pour qui la lecture de nos batifolages intellectuels est un luxe qu'il ne peut s'offrir !
Diagonalisez, diagonalisez donc pauvres hères en haillons, c'est la vie et sa dureté qui est responsable, et c'est elle que je voue aux gémonies.
Petites..explications destinées à lever le mystère de certains mots utilisés ici et qui pourraient désarçonner le lecteur, et comme personne je pense, ne vient lire ici avec une bombe sur la tête, ça pourrait devenir dangereux : Le point kerozenien : Sur les courses virtuelles au large, je faisais tous les soirs un point du classement d'une quarantaine de concurrents, qui venaient chaque soir voir où était leur bateau, et modifier éventuellement leur stratégie à la lumière des résultats annoncés. Le kerosynop : Dans le même esprit que le point kerozenien, appelé aussi point K, le kerosynop présentait les concurrents sous forme de tableau synoptique, dans lequel chacun était placé en fonction de son classement et de l'écart qui le séparait des autres bateaux.