180 - Le Lapin de l'Abeille Flandre.
Bon, si on évitait les bons vieux clichés, on avancerait un peu plus. Un marin c'est avant tout un technicien, et sans la maitrise des techniques, il aura beau avoir un coeur gros comme ça il n'ira pas loin.
Tiens je vais vous raconter une histoire :
Si on se promène sur le port de commerce à Brest, on peut admirer l'Abeille Bourbon, remorqueur de haute mer, un des plus puissants du monde. Son prédécesseur était l'Abeille Flandre, un beau bébé aussi. Dés qu'il y a un avis de tempête d'annoncé, le remorqueur largue les amarres, et se rend dans le port d'Ouessant où il se met sur coffre, prêt à intervenir sur le rail**. Pour ceux qui ne savent pas ce qu'est une tempête dans l'Iroise, il leur faut simplement savoir qu'il s'agit d"une des zone les plus dangereuses d'Europe. Le nombre de pétroliers qui ont un peu prématurément livré leur cargaison sur les plages bretonnes témoigne de la nécessité de les prendre en charge dès que les premiers signes de difficultés apparaissent, et ceci sans l’avis de l’armateur qui compte ses sous, et passe le bébé à l’assureur.
Un journaliste était venu faire un reportage à bord de l'Abeille Flandre, et bien sûr, avait participé à une de ces sorties en pleine tempête. La réalité de ce bateau ce n'est pas uniquement de naviguer quand les éléments sont déchainés, et en Iroise une tempête vire facilement en ouragan, c'est, dans ces conditions extrêmes de passer une remorque à des mastodontes infirmes qui ne manoeuvrent plus et dont l'équipage, parfois inexperimenté (ça coûte moins cher), n'est jamais assez nombreux (ça coûte trop cher).
Bref, ce journaliste, adepte lui aussi des bons vieux clichés, leur parla de lapin***, persuadé qu'on allait poliment mais fermement lui demander de ne pas utiliser de mots interdits. Pendant tout le reportage, et dans une tempête effoyable, le jeu consista pour les marins du Flandre, chaque fois qu'ils passaient à côté du journaliste, de lui dire "lapin, lapin" en rigolant. Heureusement que ces gars avaient dépassé la superstition, car ils comptaient bien plus sur la solidité de leur bateau, le courage de son équipage, et la compétence de son commandant.
J'en profite pour tirer mon chapeau (que je n'ai pas, comme dit Trapanil) devant ces gars qui risquent leur vie pour sauver celle des autres, et d'y englober les bénévoles de la SNSM.
Il y a des tas de métiers dangereux dans le monde, ne serait-ce que sur un chantier de travaux publics ou de construction, et l'approche avec la superstition ou la religion est personnelle à chacun, et y voir une relation de cause à effet tient plus du fantasme que de la réalité.
** Le Rail . Le rail d’Ouessant, Pour entrer et sortir de la Manche, l’incroyable trafic maritime qui grouille dans ces lieux dangereux, doit respecter le sens de circulation qui a été établi par les autorités françaises, ce qui permet aux navires sortant de la Manche de ne pas se retrouver sur la même route que les entrants.
*** Le Lapin. Une vieille superstition veut qu’à bord d’un bateau on ne doit pas prononcer le mot Lapin. On attribue généralement cette superstition au fait que lors de la marine en bois, les lapins, rongeurs, pouvaient abimer les superstructures des navires et ainsi les rendre vulnérables. Tout le monde connaît cette superstition ; mais chacun l’appréhende à sa manière, selon des critères qui lui sont propres. Comme chacun dans la vie courante, évite ou non de passer sous une échelle, ou s’inquiète ou non de croiser un chat noir.
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