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Chroniques Kerrozeniennes
3 octobre 2015

5 - Désespoir et Pétole

Nous sommes encore en 2008, la course des Explorateurs, la même qui avait favorisé le trafic de slips conté à la précédente chronique. nous avions des galions, et pour la plupart d'entre nous, voileux de longue date, manoeuvrer un galion aux phares carrés et aux trajectoires incertaines était un supplice. Où étaient nos sloops et nos ketchs, nos gênois et nos mâts d'artimon, nos remontées insolentes et nos largues acrobatiques ? Mais il y avait au moins quelque chose de commun entre la navigation moderne et les vieux galions cacochymes : il leur fallait du vent pour avancer !! Et lorsque celui-ci manque l'abattement s'empare rapidement des marins victimes de cette farce météologique. Pour bien comprendre cette chronique, je vais donner quelques explications nécessaires: Cette course des explorateurs n'est pas qu'une course de vitesse, nous devons lors de notre périple, passer par des zones matérialisées par un cercle rouge, dans lesquelles nous trouvons une énigme que nous devons résoudre. Il y a aussi des zones de ravitaillement, ravitaillement qui fait cruellement défaut quand on a négligé de faire les quelques milles supplémentaires permettant d'y passer.Comme toute course de bateaux, nous partons du même endroit, mais les options sont infinies, si on a su prévoir les zones de vent, et la direction et la force de celui-ci, on peut éviter la pétole horrible qui nous guette. La Pétole !!! c'est le nom donné par les marins à voile, à cet état bizarre, où aucun souffle de vent, pas même un zéphyr ne vient chatouiller les voiles pendantes qui semblent des guenilles pendues aux mâts impuissants. Si la mer a perdu de son agressivité, elle n'en continue pas moins de dérouler la grande houle résiduelle souvenir de tempêtes antérieures, qui balance les bateaux, en des mouvements incohérents faisant grincer tous les espars, et plongeant les équipages dans un désespoir qu'ils n'oublieront jamais! jamais! jamais! jam....  Many Players, c'est l'organisateur de ces courses, cible naturelle des concurrents malchanceux ou négligents. On devine que le narrateur avec quelques autres a choisi l'option Nord... Les flèches blanches et larges sont sur la carte de navigation, les concrétisations du vent, en direction et en force (la largeur).

 

Oui ! Oui la galère de misère existe, je l'ai rencontrée. Nous sommes tout un groupe, unis dans l'adversité, serrés les uns contre les autres comme pour mieux résister au sort qui s'acharne sur nous.
La ligne rouge est là, toute proche, il nous semble que certains la touchent déjà, et lentement, d'une lenteur exaspérante, d'une lenteur exténuante, nous nous approchons, que dis-je ? nous rampons comme des vulgaires larves à peine écloses vers un eldorado qui semble s'éloigner.
Et notre regard éperdu vient parfois se poser furtivement sur les sudistes qui caracolent joyeusement vers des ravitaillements salvateurs. Et notre oeil torve glisse lentement vers le détroit qui sépare l'Australie de la Nouvelle-Guinée, ce détroit qui nous semble presque inaccessible et nous croyons déjà y voir les autres.
Ah ces autres, gâtés par Many Players, chouchoutés de la providence, toutes ces flèches blanches et larges comme des autoroutes et qui vont dans le bon sens. Le bon sens, en avons nous manqué ? Aurions nous dû prévoir 72 heures auparavant qu'ici ce serait bronzette et farniente ? Il nous semble plûtôt que nous soyons dans l'option gueule de bois et brumes matinales. Et il nous prend soudain un sorte de detestation-admiration pour ces Sudistes qui naviguent allègrement et leurs sourires sont autant de flèches curarisées qui nous atteignent au plus profond de nous-même.
Et dans cette sorte de torpeur qui nous étreint, égrenant la sombre litanie des dixièmes de mille qui défilent lentement, si lentement sous notre étrave, le désespoir nous envahit, nous sommes comme les compagnons de Colomb qui murmuraient sans oser vraiment défier le sort, ce que nous appelons bêtement la chance, celle qui ne sourit qu'aux audacieux.
Et nous tournons cette maudite flèche dans tous les sens, comme si un miracle pouvait soudain nous propulser vers cette ligne rouge qui s'éloigne quand on s'approche. Les miracles ? Nous avons tous connu au réveil ces changements qui à 4 heures du matin ont précipité à terre nos plus belles stratégies, et nos meilleurs espoirs. Secrétement, au fond de notre coeur nous nous sommes endormis en pensant que cette fois, une seule fois peut-être, mais CETTE fois, il y aurait un chamboulement du feu de Dieu qui nous aurait donné un vent de 20 noeuds venant du Sud !!!! Et ce matin, en allumant le micro, combien n'ont pas eu ce petit serrement de coeur qui trahit l'angoisse de l'espoir déçu ? Et nos yeux on vu cette immensité plate et calme, cette mer à peine ridée par un souffle de scrofuleux asthmatique. Nous n'avons plus de révolte, une sorte de lassitude nous envahit, et un fatalisme ignoble s'empare de nous.
Ceux qui croient se jettent à genoux et prient le Seigneur, ceux qui ne croient pas essaient detrouver un modeste réconfort dans la contemplation du soleil, cet astre qui ne peut toujours éclairer les grandes tristesses. Il nous semble même qu'on nous ajouté du courant, contraire bien sûr, et que notre galion aux voiles molles recule. Si il recule. Des cris et des imprécations éclatent sur le pont, il faut toute la fermeté du capitaine pourtant lui-même au desespoir pour calmer ces marins fatigués des coups du sort.
Et, comme pour ajouter encore à l'abjection, nous commençons à regarder les autres bateaux, nos compagnons d'infortune pourtant, d'un oeil suspicieux. Il avance plus vite que nous celui-la ! Je ne rêve pas il est en train de me doubler. Par quel miracle ? Par quelle compromission s'est-il attiré la grâce des Dieux ?  Many, Many, par pitié condescend à jeter un regard sur tes esclaves qui souffrent, oh ! qui souffrent tant Pourquoi qu'il a un peu de vent lui ? Ne sommes nous pas nous aussi tes sujets, regarde, nous nous prosternons devant Ta grandeur.
Non ? tu ne fais rien pour nous ? Va donc eh ! patate, banane. Même pas besoin de toi.
Sans doute un jour, notre fierté retrouvée nous naviguerons encore à des vitesses dignes de nos grandes qualités nautiques, nos chants résonneront encore sous les vergues, le bruit de l'eau sous la coque bercera encore nos sommeils agités, mais toujours nous aurons, enfoui dans un coin de notre mémoire le souvenir ému de ces jours de torture auxquels  nous aurons tant bien que mal survécu. Et puisse ces jours de honte et d'ennui nous rendre plus forts, et nous pousser vaillamment vers des jours de gloire !

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Commentaires
J
Ah on le vit ce récit, pas besoin d'images qui viendraient tout gâcher d'abord il en faut de l'imagination pour passer d'un plan d'eau quadrillé ou les seules modifications sont les contours géographiques des continents, à ces descriptions complètes, mais c'est le secret du narrateur et quel narrateur ce Kéro.
Chroniques Kerrozeniennes
  • Chroniques publiées sur le forum de FRANCE 2 et FRANCE 3 consacrées aux sports, ces forums ne concernent que la voile, mais tous les sujets ont pu être abordés (société, philosophie, religion, poésie) avec plus ou moins de bonheur mais décalés. Kero Zen
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