322 - La Hallebarde à bras.

Nous en aurons bientôt fini avec les vents portants, on pourrait même dire bien portants, on navigue rarement en dessous des 20 noeuds, mais sommes nous dans la bonne direction ? La vitesse n'est pas forcement une bonne conseillère.
 
Mais pourquoi je parle de la course ? Normalement c'est le Hasardeux qui nous fournissait chaque jour un bulletin de course magnifiquement documenté. Une capture d'écran agrémentait de belle manière ces commentaires de vrai spécialiste, et c'était un plaisir sans nom que de pouvoir, le matin au petit déjeuner voir l'évolution des groupes, et le ballet impressionnant des ptits bateaux sur l'eau. Mais le Médisant a bien changé, allez ! Il a perdu sa nature primesautière et spontanée, il a pris un coup de vieux, et hormis les énigmes difficiles qu'il continue de nous proposer, il garde pour lui les pensées fumeuses et obtuses dont il nous abreuvait sans compter.
 
 Les archives de l'Unesco que je compulse en ce moment sont une mine inépuisable d'informations sur nos valeureux capitaines. Je viens de sortir la fiche du dénommé Aldabra, et ce que j'y découvre mérite d'être conté. Comme d'habitude, montez sur les genoux cagneux confortables de papy Kero, et ouvrez bien vos esgourdes.
 
Le nom d'Aldabra, vient de temps trés reculés et n'a rien à voir avec le milieu maritime. Son ancêtre qui a commencé cette illustre lignée vivait au XVIème siècle au Vatican. Oui, au Vatican car il était garde de sa Sainteté le Pape de l'époque. C'est à cette période que le souverain pontife prit l'habitude de constituer sa garde de mercenaires, principalement venus d'Hèlvétie, d'où cette habitude de la nommer la garde suisse. Mais cette garde n'était pas uniquement composée de rudes gaillards du Valais, il y avait aussi quelques Français et quelques Italiens. Leur équipement était déjà celui qu'il est encore de nos jours, le casque, la culotte bouffante, la casaque rayée toque jaune, et la hallebarde. Celle-ci qui était l'arme mythique de nos braves soldats pontificaux, était en fait un outil, si on peut dire, trés perfectionné. D'abord, elle avait à l'origine été conçue pour aller mettre de l'ordre sur les marchés (rien à voir avec la période actuelle), qui se tenaient dans les grands hangars, aussi appelés Halles. Et quant il y avait des bousculades ou des conflits qui survenaient entre les marchands eux-même, ou parfois avec les clients, les gardes étaient appelés au cris de "Ca barde aux Halles !" - "Où ?" - Aux Halles ! - "Où ?" (Ils n'avaient pas droit d'enlever leur casque qui leur bouchait un peu les oreilles) - "Aux Halles, ça barde !" - "Où ?" - Halles ! Barde ! - "Ah ? Fallait-le dire, j'y vais !!!" Et ainsi, pour ne pas répéter à l'infini, on avait pris l'habitude de dire Halles Barde, ce qui devint hallebarde pour désigner l'instrument lui-même.  
 
La Hallebarde, trés sophistiquée, est devenue au fil du temps et des améliorations apportées, une hallebarde automatique. Un bouton, placé sur le coté, prés de la main du Garde, permet de la faire pencher de 45 degrés sur la gauche ou sur la droite, de manière à barrer la route d'un importun qui voudrait s'introduire dans les locaux papaux. Un peu plus haut, un réveil à la sonnerie discrète permettait aux factionnaires de programmer la fin de la garde pour pouvoir piquer un petit roupillon sans en avoir l'air. Pour cela ils se racontaient des histoires Laperoussiennes, vous savez ces histoires à dormir debout.
 
Mais le seul qui était complètement hermétique à toutes ces inventions, c'était l'ancêtre de notre fameux navigateur, qui refusait systématiquement les hallebardes modernes, et gardait sa vieille hallebarde non automatique, sa hallebarde à bras. Le surnom, comme vous pouvez facilement l'imaginer, lui vint vite, de Hallebarde à bras, surnom qu'il transmit à sa descendance, qu'elle fut garde pontificale, gardien de nuit, garde rouge ou garde fou. Et pendant des siècles, cette famille s'appela Hallebardabras.
 
Au début du XXème siècle, un de ses ancêtres, qui était garde-barrière, avait une fâcheuse tendance à lever le coude un peu plus que de raison, et lorsqu'il vit le président de la République, Deschanel en pyjama sur la voie ferrée prés de sa maison, se croyant victime de son vice, il jura de ne plus toucher une goutte d'alcool. Même quand on lui affirma qu'il s'agissait bien du Président de la République tombé du train, il persista dans son voeu, et enleva de son nom la syllabe "bar" qui pouvait le faire rechuter. Il s'appela donc Halledabras.
 
Et, selon l'état de décrépitude plus ou moins avancé de l'employé aux écritures des mairies où naquirent les petits Halledabras, le nom évolua pour devenir ce qu'il est maintenant Aldabra. C'est un de nos meilleurs capitaines, toujours admirablement placé, et souvent vainqueur. Un de ceux que j'ai soupçonné de tricherie, mais depuis que je sais qu'il est frappé d'une superirite** chronique, il peut compter sur mon appui, mon admiration et mon amitié. Je suis heureux qu'il soit passé par les iles du Cap-Vert donner un petit bisou à Césaria Evorra, un peu de joie et d'amour dans sa vie difficile ne peut que l'aider.
 
Voila, vous connaissez l'histoire de notre ami Aldabra, gloire à ses ancêtres, et bon courage pour lui.
 
 Bonne journée à tous, et le sujet de méditation que je vous propose aujourd'hui est : "Comment faire pour être digne de ses ancêtres ?"

** Un jour Laperousse écrivit que Aldabra avait une superiorite importante. Ce qui devint, car Laperousse oublia le « o » dans le mot, superirite, et comme il ne mettait jamais les accents, on prononçait superirite, ce qui inquiéta tous les virtuelovoileux.